Les croix de bois – Roland Dorgelès

Bon … celui là, ça fait un mois que je l’ai fini, mais septembre a tellement été ouf que je n’ai pas eu le temps de le résumer ! Donc maintenant qu’octobre est venu dans sa robe blanche, je me pose et je m’y mets. Il est le 1er d’une longue série de livres sur la 1ère guerre : on a été en vacances à Verdun en aout (nous les normands versés à la 2eme guerre on voulait découvrir la 1ère) et j’adore l’immersion totale pendant les vacances : on mange local, on boit local, on ratisse tout ce qu’il y a à visiter (Moitié a réussi à digérer 3 ou 4 cimetières militaires !), et je lis local ! Ayant eu énormément de bons retours de ce livre, je le lisais le soir après avoir visité le champ de bataille en journée, éteignant ma frontale pour m’allonger dans mon duvet par terre, parfois avec le grondement de l’orage au loin, autant de parallèles dans ma tête, donc forcément mon avis sera différent que si je l’avais lu devant mon feu chez moi !

L’histoire ? On n’a pas vraiment de dates à travers tout le livre, mais surtout des faits. Il suffit de faire quelques recherches pour les situer, mais ça laisse un flou.

Dans tous les cas, l’histoire commence par l’arrivée d’une petite « relève » pour une compagnie dans un village de l’Est de la France. Chacun est cité tour à tour : Sulphart la grande gueule, Bréval le caporal, Broucke le gars du « ch’Nord », le gros Bouffioux, le p’tit Belin,… Et le narrateur (et auteur), Jacques Larcher, qui se présente à l’une des nouvelles recrues pour qui il a d’entrée de jeu une grande sympathie et qui sera un des héros du livre : Gilbert Demachy.

A partir de là, on suit le quotidien d’une compagnie et des autres qu’ils croisent. Un quotidien alternant entre quelques jours de tranchée, horribles, où il faut se battre pour gagner 20 cm de terrain, perdre des milliers d’hommes, lutter contre des milliers de bombes qui déchiquettent la peau humaine avec la facilité d’un couteau qui rentre dans un beurre mou … Le tout sans savoir vraiment pourquoi, avec un Etat-Major hasardeux (des brèles bien à l’abri, clairement !), devoir obéir (un mot qu’on ne connait plus !) à des décisions absurdes, … Et quelques semaines à l’arrière pour panser les plaies, éloigner la peur, pleurer les morts, soigner les blessés, essayer de revivre, lire les lettres des femmes, rêver la vie d’après.

L’auteur ? Roland Dorgelès. C’est lui :

C’est son nom d’écrivain, son vrai nom c’est Rolland Lecavelé. D’après la photo, on devine qu’il n’est pas né d’hier (1885) et que son oeil est torturé comme quelqu’un qui a vécu un truc pas hyper glop (il a combattu pendant la Grande Guerre). Le gars a été réformé 2 fois, et il a fait appel auprès de ses relations pour quand même partir combattre … Et du coup, il écrit ce livre en 1919 en revenant de la guerre. Ce n’est donc pas 100% un roman, mais c’est surtout un hommage à ses compagnons de tranchée. Entre les 2 guerres, il poursuit une carrière littéraire, et (truc que j’ignorais) à l’entrée en 2nde guerre, il invente l’expression « drôle de guerre » (mais si mais si, rappelez vous de vos cours d’histoire !). Il devient ensuite président de l’académie Goncourt et il finit par mourir en 1973. (On me signale qu’il vient de se retourner dans sa tombe pour un résumé si court de sa vie si riche !)

Un extrait pour l’ambiance : Volontairement, je prends l’épilogue car il est très difficile d’extraire un morceau dans le coeur de livre tant tout est lié, tout est imbriqué, tout est raconté de manière happée. Mais l’épilogue en dit beaucoup.

Et c’est fini…
Voila la feuille blanche sur la table, et la lampe tranquille, et les livres. Aurait-on jamais cru les revoir, lorsqu’on était là-bas, si loin de sa maison perdue ?
On parlait de sa vie comme d’une chose morte, la certitude de ne plus revenir nous en séparait comme une mer sans limites, et l’espoir même semblait s’apetisser, bornant tout son désir à vivre jusqu’à la relève. Il y avait trop d’obus, trop de morts, trop de croix ; tôt ou tard notre tour devait venir.
Et pourtant c’est fini…
La vie va reprendre son cours heureux. Les souvenirs atroces qui nous tourmentent encore s’apaiseront, on oubliera, et le temps viendra peut-être où, confondant la guerre et notre jeunesse passée, nous aurons un soupir de regret en pensant à ses années-là.
Je me souviens de nos soirées bruyantes, dans le moulin sans ailes. Je leur disais : « Un jour viendra où nous nous retrouverons, où nous parlerons de nos copains, des tranchées, de nos misères, et de nos rigolades… Et nous dirons avec un sourire : « C’était le bon temps ! ».
Avez-vous crié, ce soir-là, mes camarades ! J’espérais bien mentir, en vous parlant ainsi. Et cependant …
C’est vrai, on oubliera. Oh ! Je sais bien, c’est odieux, c’est cruel, mais pourquoi s’indigner : c’est humain… Oui il y aura du bonheur, il y aura de la joie sans vous, car, tout pareil aux étangs transparents dont l’eau limpide dort sur un lit de bourbe, le coeur de l’homme filtre les souvenirs et ne garde que ceux des beaux jours. La douleur, les haines, les regrets éternels, tout cela est trop lourd, tout cela tombe au fond…
On oubliera. Les voiles de deuil, comme les feuilles mortes, tomberont. L’image du soldat disparu s’effacera lentement dans le coeur consolé de ceux qu’ils aimaient tant. Et tous les morts mourront pour la 2eme fois.
Non, votre martyre n’est pas fini, mes camarades, et le fer vous blessera encore, quand la bêche du paysan fouillera votre tombe.
Les maisons renaîtront sous leurs toits rouges, les ruines redeviendront des villes et les tranchées es champs, les soldats victorieux et las rentreront chez eux. Mais Vous ne rentrerez jamais.
C’était le bon temps.

Mon avis ? Ce livre est très court, mais terriblement efficace. Je l’ai dévoré, et adoré. Il permet de réaliser tellement de choses, dont on est conscient sans le savoir mais que ça fait du bien de reprendre.
Réaliser combien le monde a changé en 100 ans, combien on est passé d’un extrême à l’autre aussi (une cellule psychologique s’ouvre pour un mort aujourd’hui, en revanche pour des gars qui se protégeaient des obus par les corps des copains morts, non pas du tout, aucun problème psychologique ! Pensez !… ). Réaliser du coup combien on vit une époque privilégiée. Je ne pouvais m’empêcher de me dire « mon neveu aurait du y aller (à la place du skate-park) si elle avait lieu aujourd’hui« .

On apprend aussi le quotidien de la vie de guerre : dans les livres d’histoire on parle beaucoup des tranchées, donc je pensais qu’ils étaient toujours dedans, mais l’aspect vie en 2nde ligne, dans les villages du coin, est en fait hyper important. Comprendre la physionomie actuelle des villages de la ligne de front, qui ont tellement morflé…

On se prend d’amitié pour chacun des personnages, on tremble pour eux, et on espère pour eux. Et au final, grâce au talent d’écriture, à la véracité de la description, on ressent 1/100eme de ce qu’ils pouvaient ressentir à la disparition de leurs frères d’armes … Car ils tombent les uns après les autres, pas de secret… On replonge d’un coup dans l’absurdité d’une guerre médiévale avec des armes contemporaines, qu’on comprend à peine d’ailleurs. Autant la 2nde, on savait contre qui on se battait, mais la 1ère …. personne ne savait vraiment, et les millions de morts non plus … tant allemands que des autres nationalités. Certaines scènes du livre sont à peine possibles à imaginer pour moi, à peine lisibles tellement elles sont dures, mais pourtant, elles ont été vécues par des êtres humains.

Pour résumer :

  • Un livre parfait pour saisir rapidement l’essence même de la vie des soldats sur le front pendant la 1ère guerre.
  • Car un livre écrit par un survivant de ce conflit.
  • Une écriture efficace, concrète, parfaite, qui se dévore, suscite l’émotion, le suspense, la compassion, l’indignation.
  • Pile poil la bonne longueur, ni trop long, ni trop court. Foncez vous plonger dedans, ils le méritent tous, aucun d’entre eux ne mérite l’oubli.

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